
Les comptes et livrets bancaires des enfants : droits, limites et responsabilités des parents
-L'épargne de nos enfants mérite toute notre attention. Entre protection du patrimoine familial et respect des droits de l'enfant, la loi française pose un cadre précis que parents et établissements bancaires doivent respecter.
Une réalité familiale courante aux enjeux juridiques complexes
Ouvrir un livret d'épargne au nom de son enfant est un geste parental naturel et louable. Que ce soit pour constituer un pécule pour le permis de conduire, les études supérieures ou un futur projet immobilier, cette démarche témoigne de la prévoyance des parents.
Cependant, cette pratique soulève des questions juridiques importantes que beaucoup de familles méconnaissent. L'argent déposé sur le compte d'un enfant devient sa propriété, même s'il a été versé par les parents. Cette réalité juridique peut surprendre, mais elle protège l'enfant contre d'éventuels abus.
L'administration légale : pouvoir et responsabilité
Les deux piliers de l'administration légale
Les parents exercent conjointement l'autorité parentale et, par conséquent, l'administration des biens de leur enfant mineur. Cette administration repose sur deux concepts distincts :
1. L'administration des biens
- Pouvoir de gérer le patrimoine de l'enfant
- Exercice conjoint par les deux parents
- Obligation d'agir dans l'intérêt exclusif de l'enfant
- Droit d'utiliser les revenus des biens de l'enfant
- Perception des intérêts, dividendes, loyers
- Utilisation strictement encadrée pour les besoins de l'enfant
La jouissance légale ne concerne pas :
- Les revenus du travail de l'enfant
- Les biens donnés ou légués avec clause d'exclusion de jouissance
- L'utilisation du capital à des fins personnelles des parents
Cette différenciation, souvent méconnue, est pourtant fondamentale depuis l'arrêt de la Cour de cassation de juin 2025.
Actes d'administration
- Définition : Gestion courante sans risque pour le patrimoine
- Exemples : Placement des intérêts, consultation des comptes
- Règle : Un seul parent peut agir (présomption d'accord)
- Définition : Opérations ayant un impact significatif sur le patrimoine
- Exemples : Virements importants, clôture de compte, modification des conditions
- Règle : Accord obligatoire des deux parents ou autorisation du juge des tutelles
L'évolution jurisprudentielle : un tournant en 2025
L'affaire qui change la donne
Un père avait effectué plusieurs virements depuis les comptes d'épargne de ses trois enfants vers sa société, vidant quasiment leurs livrets. La Cour de cassation a clarifié les règles :
Les faits :
- Virements de 5 000 € par enfant vers l'entreprise paternelle
- Action sans accord de la mère
- Quasi-épuisement des comptes des enfants
- Qualification d'actes de disposition
- Nécessité d'un accord parental conjoint
- Responsabilité de la banque pour défaut de vigilance
Cette jurisprudence renforce considérablement :
- Les obligations des établissements bancaires
- La protection du patrimoine des enfants
- Les droits de contrôle de chaque parent
Le devoir de vigilance
Les établissements bancaires ne peuvent plus se contenter d'exécuter aveuglément les ordres d'un seul parent. Ils doivent :
- Vérifier la nature de l'opération (administration ou disposition)
- Solliciter l'accord du second parent pour les actes de disposition
- Suspecter les anomalies manifestes (virements vers comptes professionnels, montants importants)
- Alerter si nécessaire les autorités compétentes
En cas de manquement, la banque engage sa responsabilité civile contractuelle et peut être condamnée à :
- Restituer les sommes indûment prélevées
- Indemniser le préjudice subi par l'enfant
- Supporter les frais de procédure
Les cas problématiques fréquents
- Séparations conflictuelles : Un parent vide les comptes des enfants
- Difficultés financières : Utilisation de l'épargne enfantine pour régler des dettes personnelles
- Investissements hasardeux : Placement des fonds dans des projets risqués
- Détournements masqués : Virements réguliers vers des comptes personnels ou professionnels
Pour les parents :
- Relevés de comptes inhabituels
- Refus de communication d'informations par l'autre parent
- Diminution inexpliquée du solde
- Opérations répétées par un seul parent
- Montants disproportionnés avec l'âge de l'enfant
- Destinations suspectes des virements
À l'ouverture du compte
- Présence des deux parents pour éviter toute contestation ultérieure
- Définition claire des modalités de fonctionnement avec le conseiller
- Choix du type de compte adapté aux besoins (libre ou bloqué)
- Mise en place d'alertes sur les mouvements importants
- Accès partagé aux comptes en ligne pour les deux parents
- Communication régulière sur les opérations effectuées
- Conservation des justificatifs d'utilisation des fonds
- Transparence totale avec l'enfant dès que possible
- Maintien du dialogue sur la gestion patrimoniale des enfants
- Recours au juge des tutelles en cas de désaccord persistant
- Blocage préventif des comptes si nécessaire
- Documentation de tous les mouvements contestés
Pour l'autre parent
- Saisine du juge des tutelles pour faire nommer un administrateur ad hoc
- Action contre la banque pour manquement au devoir de vigilance
- Demande de blocage des comptes concernés
- Action en responsabilité contre le parent fautif
À partir de 16 ans, puis surtout à 18 ans, l'enfant peut :
- Exiger un compte rendu de gestion de ses parents
- Demander la restitution des sommes indûment utilisées
- Engager une action judiciaire contre ses parents ou la banque
- Récupérer la pleine maîtrise de ses comptes
Situation | Âge de l'enfant | Autorisation requise | Contrôle bancaire | Recours possible |
Ouverture compte | Tout âge | Un parent minimum (idéalement deux) | Vérification identité et lien de parenté | Contestation par l'autre parent |
Actes d'administration | < 18 ans | Un seul parent | Contrôle de routine | Opposition de l'autre parent |
Actes de disposition | < 18 ans | Les deux parents ensemble | Vigilance renforcée obligatoire | Action contre banque et parent |
Jouissance légale | < 16 ans | Un parent (pour les revenus uniquement) | Contrôle de l'utilisation des intérêts | Justification à l'enfant |
Demande de comptes | > 16 ans | L'enfant directement | Information obligatoire | Action en restitution |
Pleine disposition | 18 ans | L'enfant seul | Levée des contrôles parentaux | Action contre ex-tuteurs |
À retenir absolument
- L'argent sur le compte d'un enfant lui appartient
- Les actes de disposition nécessitent l'accord des deux parents
- Les banques ont un devoir de vigilance renforcé
- L'enfant peut demander des comptes dès 16 ans
- Les abus sont sanctionnés civilement et peuvent être pénalement répréhensibles
La gestion de l'épargne d'un enfant n'est pas anodine juridiquement. Face à une situation complexe, plusieurs solutions s'offrent à vous :
- Consultation d'un avocat spécialisé en droit de la famille
- Saisine du juge des tutelles en cas de conflit ou de doute
- Médiation familiale pour résoudre les différends à l'amiable
- Demande de conseil auprès de votre établissement bancaire
L'objectif reste toujours le même : protéger l'intérêt supérieur de l'enfant tout en préservant l'harmonie familiale. La transparence et le dialogue demeurent les meilleures garanties d'une gestion sereine et conforme à la loi.
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