Du civil au pénal : quand le non-paiement de la prestation compensatoire constitue un délit

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La prestation compensatoire est l'un des mécanismes prévus par le législateur pour compenser la disparité créée par la rupture du mariage. Mais au-delà de son aspect purement civil, savez-vous que le non-paiement de cette prestation peut vous exposer à des poursuites pénales ? En effet, il peut être constitutif du délit d'abandon de famille.

Le non-paiement comme délit d'abandon de famille

Fondement légal et jurisprudentiel
L'article 227-3 du Code pénal punit le fait de ne pas exécuter une décision judiciaire ou une convention judiciairement homologuée imposant de verser une contribution, pension, subsides ou prestations de toute nature à un conjoint, un ascendant ou un descendant.
La jurisprudence récente de la Cour de cassation a clairement confirmé l'application de cet article au non-paiement de la prestation compensatoire. Dans son arrêt du 9 avril 2025 (Cass. crim., n° 24-85.079), la Haute juridiction a précisé que :
"Le renvoi, auquel procède l'article 227-3 du Code pénal, à l'énumération figurant au I de l'article 373-2-2 du Code civil, a pour seule portée de désigner la nature de l'acte qui fixe l'obligation dont l'inexécution est pénalement sanctionnée. [...] Ce renvoi n'a pas pour effet de limiter l'objet des obligations méconnues, prévues par l'article précité du Code pénal, qui incluent les prestations de toute nature devant être versées au conjoint, si elles sont dues en vertu d'une obligation familiale prévue par le code civil, ce qui est le cas d'une prestation compensatoire."

Les trois conditions constitutives du délit
Pour que le délit d'abandon de famille soit caractérisé, trois conditions cumulatives doivent être réunies :

  1. L'existence d'un titre exécutoire : L'obligation doit être prévue par une décision de justice exécutoire et définitive (jugement de divorce) ou une convention homologuée par le juge (convention de divorce par consentement mutuel).
  2. Le non-paiement pendant plus de deux mois consécutifs : Le débiteur doit être resté plus de deux mois sans s'acquitter, en totalité ou en partie, de son obligation. Le délai commence à courir à partir du moment où la décision devient exécutoire.
  3. L'intention délibérée de ne pas payer : Le débiteur doit avoir eu connaissance de son obligation et avoir volontairement omis de s'y conformer. La signification du titre exécutoire par voie d'huissier est un moyen efficace de prouver cette connaissance.
La charge de la preuve
Comme l'a rappelé la Cour de cassation dans son arrêt du 19 janvier 2022 (n° 20-84287) :
"Si la partie poursuivante doit rapporter la preuve que le prévenu est demeuré, plus de deux mois, sans payer la somme ainsi mise à sa charge et qu'il connaissait cette obligation, ce dernier, qui se prévaut d'une impossibilité absolue de payer, doit en rapporter la preuve."
En d'autres termes :
  • Le créancier doit prouver le non-paiement et la connaissance de l'obligation par le débiteur
  • Le débiteur qui invoque l'impossibilité absolue de payer doit en apporter la preuve
Le fait justificatif : l'impossibilité matérielle de payer
Le débiteur peut s'exonérer de sa responsabilité pénale s'il démontre qu'il était dans l'impossibilité matérielle absolue de s'acquitter de son obligation. Il peut s'agir notamment :
  • D'un accident de travail entraînant une incapacité
  • D'une maladie grave
  • D'une situation de chômage non fautive
Cependant, la jurisprudence considère généralement que le paiement de la prestation compensatoire est prioritaire sur les autres dépenses du débiteur. Une simple difficulté financière n'est donc pas suffisante pour constituer un fait justificatif.

Les sanctions encourues

Peines principales
Le délit d'abandon de famille est puni de sanctions sévères :
  • 2 ans d'emprisonnement
  • 15 000 € d'amende
Peines complémentaires possibles
Le tribunal peut également prononcer des peines complémentaires comme :
  • La mise en place d'une astreinte pour assurer l'exécution de la décision
  • La publication de la décision de justice
  • L'interdiction des droits civiques, civils et de famille
Prescription de l'action publique
L'action publique pour le délit d'abandon de famille se prescrit par six ans à compter de la dernière date à laquelle l'obligation devait être exécutée.

La procédure pénale

Comment porter plainte ?
L'époux créancier qui souhaite engager des poursuites pénales peut :
  • Déposer une plainte simple auprès du commissariat de police ou de la gendarmerie
  • Adresser une plainte directement au procureur de la République
  • Porter plainte avec constitution de partie civile devant le doyen des juges d'instruction
La plainte doit être accompagnée des pièces justificatives :
  • Jugement de divorce ou convention homologuée
  • Justificatifs du non-paiement
  • Mise en demeure adressée au débiteur
La victime peut se constituer partie civile pour demander des dommages-intérêts en réparation du préjudice subi, en plus des sanctions pénales.

Conseils pratiques

Pour le créancier
Si vous êtes créancier d'une prestation compensatoire impayée :
  • Conservez toutes les preuves de non-paiement
  • Faites signifier le jugement par huissier si ce n'est pas déjà fait
  • Adressez une mise en demeure avant d'envisager l'action pénale
  • Consultez un avocat pour évaluer l'opportunité d'une action pénale
Pour le débiteur
Si vous êtes débiteur d'une prestation compensatoire que vous ne pouvez pas honorer :
  • Ne restez pas passif face à vos difficultés
  • Conservez toutes les preuves de votre impossibilité de payer
  • Maintenez le dialogue avec votre ex-conjoint et proposez un échéancier adapté à votre situation

Conclusion

Le non-paiement de la prestation compensatoire n'est pas une simple négligence civile mais bien un délit pénal aux conséquences potentiellement graves. La jurisprudence récente confirme sans ambiguïté que ce non-paiement est constitutif du délit d'abandon de famille.
Face à cette situation, tant le créancier que le débiteur doivent être conscients des enjeux juridiques et agir avec diligence pour préserver leurs droits. Un accompagnement par un avocat est vivement recommandé pour naviguer dans ces eaux complexes où droit civil et droit pénal se rejoignent.














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